Interview d'Edita Gruberova
Interview de la soprano Edita Gruberova pour Coline Opéra / ODB Opéra
Anh Tuan Nguyen : Votre engagement caritatif envers les enfants n’est pas nouveau. Vous avez notamment sorti il y a quelques années un album de Lieder avec Ivan Paley, « From heart to heart », au profit de Cleft-Children International, qui collecte des fonds pour opérer des enfants souffrant de malformation faciale. En tant que personne qui avez connu une enfance heureuse mais difficile matériellement, est-ce que vous trouvez cela important d’agir aujourd’hui pour les enfants qui souffrent de la pauvreté ?
Edita Gruberova : C’est encore plus important aujourd’hui qu’autrefois car nous vivons dans un environnement plus heureux, c’est pourquoi il est important de faire quelque chose pour les enfants qui souffrent de la pauvreté. Ces dernières années, j’ai participé à des galas de charité en faveur d’enfants pauvres ou malades et je compte continuer.
Anh Tuan Nguyen : Vous aviez quitté la Tchécoslovaquie dans des conditions difficiles dans les années 1970. Quand avez-vous recommencé à chanter en Slovaquie ?
Edita Gruberova : Dans les années 90 mais je ne sais plus quand exactement j’ai recommencé à chanter en Slovaquie.
Anh Tuan Nguyen : Vous y sentez-vous chez vous ?
Edita Gruberova : Je me sens chez moi dans le monde entier, du moment que je peux trouver des gens bien et un public curieux.
Anh Tuan Nguyen : ODB Opéra avait réalisé une interview de Pavol Breslik il y a quelques années. Slovaque comme vous, c’est l’un des ténors les plus en vue dans le monde actuellement. Vous chantez régulièrement ensemble, notamment l’année dernière dans la Traviata (une intégrale paraîtra en disque). Éprouvez-vous un plaisir particulier à vous produire avec un jeune chanteur slovaque talentueux ?
Edita Gruberova : Oui, j’aime chanter avec Pavol Breslik, qui est un chanteur exceptionnel doté d’une grande musicalité mais je travaille avec plaisir avec tous les ténors qui sont sur la même longueur d’onde que moi. Dans ce cas, cela me donne une grande satisfaction. Le ténor n’a pas à être slovaque, n’importe quel bon partenaire m’apporte une émulation positive dans le chant.
Anh Tuan Nguyen : Vous vous produisez régulièrement au Japon. Des représentations de Roberto Devereux et des concerts sont programmés pour cet automne. Pensez-vous que la musique classique peut apporter un réconfort à un public touché par des catastrophes naturelles ?
Edita Gruberova : Oui, chaque forme d’évènement artistique peut apporter du réconfort dans les situations difficiles. L’art en général peut constituer une forme de thérapie, et pas seulement en cas de catastrophe… mais la musique classique peut dans ces cas particuliers être une source de consolation.
Anh Tuan Nguyen : Est-ce que le public japonais est différent du public européen ?
Edita Gruberova :Je suis toujours surprise de voir à quel point le public japonais voue un intérêt très fort pour la musique classique, alors que ce n’est pas à la base leur culture. A l’inverse, notre connaissance de la musique traditionnelle japonaise est très faible.
Anh Tuan Nguyen : Votre dernier récital parisien en décembre 2009, au Théâtre des Champs-Élysées, a été un triomphe rare. Le directeur de l’époque, Dominique Meyer (maintenant directeur de l’Opéra de Vienne), vous avait demandé de rechanter l’un de vos bis car le public ne voulait plus quitter la salle. Etes-vous consciente que le public français vous aime beaucoup ?
Edita Gruberova : Après 13 ans d’absence de la France, les manifestations d’enthousiasme du public parisien me sont allées droit au cœur. Je ne m’y attendais vraiment pas ! Je croyais que le public français m’aurait oubliée après une si longue absence. Après ce concert à Paris en décembre 2009, j’étais très heureuse.
Anh Tuan Nguyen : Vous avez débuté en France au concours de chant de Toulouse en 1968, où vous avez obtenu la seconde place notamment grâce à l’air des clochettes de Lakmé. Quels souvenirs avez-vous de ces débuts en France ?
Edita Gruberova : Je pense que je n’avais reçu que le troisième prix. J’étais vraiment une débutante à l’époque, j’avais à peine terminé le conservatoire. C’était juste après l’invasion de la Tchécoslovaquie par la Russie et j’ai eu l’impression que l’on m’avait attribué un prix, parce que j’étais slovaque, et que c’était une manifestation de sympathie politique. Mais peut-être que je n’avais pas si mal chanté… L’air des clochettes de Lakmé était déjà dans mes cordes vocales !
Anh Tuan Nguyen : Norma est un rôle de toute une vie. Je vous ai vu dans ce rôle à Munich, à Bruxelles et à Salzbourg. Il y a deux moments en particulier qui me frappent dans votre interprétation : Casta diva bien sûr, parce que vous êtes l’une des seules dans l’histoire de la musique à le chanter sur scène dans sa tonalité originale aiguë, et la fin du premier acte, où votre colère contre Pollione a un côté presque obscène. On sent toute la rage que vous insufflez au personnage mais c’est une rage de femme blessée, abandonnée, humiliée. Vous vous situez bien au-delà de la colère de théâtre, vous en faites quelque chose de très humain et d’autant plus effrayant et fascinant. Comment avez-vous réussi ce travail psychologique sur le personnage de Norma ?
Edita Gruberova : Norma offre la possibilité d’exprimer le récit d’une vie entière. Chaque rôle doit porter des sentiments authentiques, que l’on puise dans un riche réservoir où les émotions ont été accumulées toute notre vie, et qui doivent être exprimées par notre voix.
Anh Tuan Nguyen : Depuis quelques années (je pense à votre prise de rôle en Lucrezia Borgia au Liceu début 2008), vous semblez particulièrement épanouie, plus relax. Sans avoir renoncé à votre exigence technique, vous semblez plus sereine, plus optimiste. On vous voit en pleine forme à la sortie des artistes après des représentations qui doivent pourtant être éprouvantes, très disponible et prête à plaisanter. Lorsque vous avez fait un discours inopiné à l’issue d’une Traviata à Hambourg en novembre 2010, vous avez faire rire le public avec un sens du second degré inattendu. Avez-vous l’impression d’avoir définitivement fait vos preuves dans le monde de l’opéra et de pouvoir jouir pleinement du plaisir de chanter et de partager votre art avec le public ?
Edita Gruberova : Il y a quelques années, j’ai connu une renaissance vocale en atteignant une certaine vérité dans la technique de chant. Pour moi, cela signifie que je peux désormais chanter sans stress et sans problème. La pression liée aux apparitions en public a disparu et je peux aborder chaque représentation avec sérénité.
Anh Tuan Nguyen : Vous allez aborder la Straniera de Bellini en version de concert l’année prochaine. Cela fait longtemps que vous aviez évoqué un nouveau rôle de Bellini (celui-ci ou Imogene dans Il Pirata). Sur quels critères avez-vous choisi cette prise de rôle ?
Edita Gruberova : Je choisis mes rôles conformément à ma voix et mon répertoire. J’essaie d’élargir mon répertoire par rapport aux nombreux rôles de bel canto que j’ai déjà abordés, c’est ainsi que je me suis décidé pour la Straniera comme nouveau rôle.
Anh Tuan Nguyen : Madame Gruberova, merci beaucoup pour votre temps. Je rappelle que vous chanterez à nouveau en France, pour ColineOpéra, en décembre 2011 dans la Norma de Bellini à l'Opéra de Nice puis à la Salle Pleyel.
La réservation est ouverte pour Norma à la Salle Pleyel et à l'Opéra de Nice.
Concerts donnés au profit de La Chaîne de l'Espoir, La Fondation MVE et Toutes à l'école.
Si vous souhaitez acheter des places au Carré Or, en tant qu'entreprise ou donateur, merci de nous contacter via notre formulaire.
Interview réalisée en 2011 par Anh Tuan Nguyen, pour ColineOpéra et ODB Opéra
Copyright © de ColineOpéra - Tous droits réservés.